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Ivoir-Opinion

LA FRANCE CONNAÎT-ELLE VRAIMENT UNE VAGUE D’IMMIGRATION ?

28 Octobre 2014 , Rédigé par ivoir-opinion louis sévérin ANOUMA

Les discours se multiplient sur un prétendu « envahissement » de l'Hexagone par les migrants clandestins. Si l'Europe connaît effectivement un afflux massif depuis le début de l'année, la France n'est pas la première terre d'accueil. | REUTERS/PASCAL ROSSIGNOL

C'est une thèse répandue, particulièrement en 2014, où se multiplient les images de migrants se pressant à Calais et dans les Alpes-Maritimes : la France serait « envahie » par ces populations, chassées d'Afrique ou du Maghreb par la misère ou les troubles politiques et sociaux. Voilà pour le cliché. Pourtant, les chiffres récents des autorités françaises et de leurs homologues européennes dessinent un autre paysage, où la France n'est pas la première terre d'accueil des migrants.

Il est complexe, par définition, de mesurer l'immigration clandestine. Les chiffres les plus fantaisistes circulent : 200 000 personnes, voire 400 000 ?

Quelques indicateurs peuvent cependant y aider : les demandes d'asile, notamment, mais aussi les reconduites à la frontière ou les bénéficiaires de l'aide médicale d'Etat (AME).

L'Europe fait face à un afflux massif de migrants

Les derniers chiffres fournis par Frontex, l'agence européenne de surveillance des frontières, sont impressionnants.Les entrées illégales sur le sol européen connaissent, depuis le début de l'année 2014, un pic qui n'avait même pas été atteint en 2011 lors des révolutions arabes. Au cours du deuxième trimestre, les Etats membres de l'UE ont recensé l'arrivée de 68 589 migrants clandestins, soit plus de trois fois plus qu'au cours du premier trimestre.

Nombre d'entrées illégales dans l'Union européenne entre janvier et septembre 2014. | Les Décodeurs

La très grande majorité de ces entrées (et tentatives) sur le sol européen se font par la mer. La Méditerranée occidentale, qui comprend la zone entre le Maghreb et l'Europe du Sud (Espagne, Portugal, France, Italie) est, de loin, la voie la plus empruntée par les migrants. L'île italienne de Lampedusa, tristement connue pour les naufrages meurtriers régulièrement constatés à son large, est notamment située sur cette route.

Franchissements illégaux aux frontières de l'Europe selon la "route" empruntée. | Les Décodeurs

L'Allemagne, première destination des migrants

Un bon indicateur pour mesurer la masse de migrants dans chaque pays est le nombre de premières demandes d'asiles. Si ce chiffre est forcément incomplet, certains clandestins ne se déclarant jamais aux autorités, il permet de faire des comparaisons pays par pays.

Selon les chiffres publiés chaque mois par l'institut de statistiques Eurostat, près de 400 000 personnes ont demandé l'asile dans les 28 Etats membres de l'UE entre avril 2013 et mars 2014. Parmi eux, 122 335 l'ont fait en Allemagne, 59 910 en France et 56 055 en Suède.

Premières demandes d'asile déposées par mois

Les chiffres publiés par Frontex pour l'année 2014 montrent eux aussi une augmentation massive des demandes d'asile en Allemagne et en Suède (+ 22 315 et + 20 130 par rapport à 2013), tandis que la France a vu une diminution (- 11 600). En août, le ministère de l'intérieur expliquait au Monde cette situation par le fait que l'Hexagone était davantage un « pays de transit » vers d'autres destinations où les perspectives économiques sont jugées meilleures (Allemagne, Royaume-Uni, Suède)

Evolution des nouvelles demandes d'asile entre janvier et septembre 2014, par rapport à 2013. | Les Décodeurs

220: Quand on rapporte ce chiffre à la population, la France est loin d'être en tête. Au premier trimestre 2014, les demandeurs d'asile ont représenté 220 personnes pour 1 million d'habitants, très loin de la Suède (1 205 demandeurs d'asile par million d'habitants) et derrière la Suisse (555) le Luxembourg (430), Malte (425) ou l'Allemagne (400).

Kosovars et Congolais devant les Syriens

Il est également intéressant de regarder de près les nationalités des demandeurs d'asile. Sur l'ensemble de l'UE, les Syriens constituent en 2013 le groupe de demandeurs le plus important, suivis des Russes et des Afghans, selon Eurostat.

Pour la France, ce sont les Kosovars qui ont représenté le groupe le plus important (8 % du total), suivis de personnes fuyant la République démocratique du Congo et des Albanais (autour de 8 % également).

Par contraste, l'Allemagne connaît un afflux de Serbes, de Russes et de Syriens, tandis que Pakistanais, Iraniens et Sri-Lankais sont les trois nationalités à demander le plus asile au Royaume-Uni.

Principales "routes" empruntées par les migrants clandestins selon leur origine. | Les Décodeurs

83 %: Le taux de rejet des demandes d'asile est de 66 % en moyenne en Europe. En France, sur 61 455 demandes en 2013, 10 470 ont été acceptées. Soit un taux de rejet de 83 %.

Autre indicateur intéressant, celui des reconduites à la frontière. Il est relativement stable depuis 2006, autour de 20 000 à 22 000 personnes par an.

Quant aux placements en rétention administrative, ils étaient en 2013 de 20 554, contre 34 987 en 2007.

Augmentation relative des bénéficiaires de l'AME

L'aide médicale d'Etat (AME), accordée aux immigrés en situation irrégulière, peut également fournir une évaluation. Selon un rapport parlementaire de 2013, on observe une hausse depuis 2009 : on est passé en cinq ans de 215 763 à 263 962 personnes qui ont eu recours à l'aide.

Mais l'AME n'est pas accessible à tous les immigrés clandestins : il faut résider en France de manière stable depuis plusieurs mois pour pouvoir en bénéficier, sous conditions de ressources. Par ailleurs, une personne avec des papiers peut aussi en profiter, si elle omet de dire qu'elle est en situation régulière. L'AME ne peut donc constituer qu'une indication.

Le prisme de l'effet de concentration

Si une partie de l'opinion, confortée par des déclarations exagérées, est amenée à croire en une « vague » d'immigration dans le pays, c'est aussi parce que les migrants sont particulièrement visibles dans les points d'entrée du territoire (comme la frontière franco-italienne) et de sortie (comme Calais), créant un effet de masse. Le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin, a ainsi confirmé le 23 octobre l'explosion récente du nombre de clandestins dans la région, avec « entre 2 200 et 2 300 migrants sur le Calaisis, loin des 1 500 de la fin de l'été ».

On l'a vu, si l'on se fie au nombre de demandes d'asiles déposées jusqu'à maintenant, le pays ne connaît pas de vague d'immigration plus importante que les dernières années. L'Hexagone se trouve au carrefour de routes de migrations très empruntées, sans que les hausses d'entrée dans l'UE ne se traduisent, pour le moment tout du moins, dans les chiffres français.

Mais l'effet de concentration joue à plein à Calais, passage considéré comme indispensable pour ceux souhaitant rejoindre le Royaume-Uni. Les images de ces derniers jours, montrant des migrants se battant entre eux ou «prenant d'assaut » des camions en partance pour la Grande-Bretagne et poussant le ministère de l'intérieur à envoyer des renforts sur place, continuent à alimenter les fantasmes sur le sujet.

Samuel Laurent, Alexandre Pouchard et Sylvie Gittus

Le Monde, le 23 octobre 2014

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