Contacté par SenePlus, Jean Merckaert, l’administrateur de l’Ong anti-corruption Sherpa, très au fait de l’affaire, a levé le voile sur les flux au départ du Sénégal. Il révèle à ce propos : ‘’La BNP Monaco a reçu 733 remises de chèques en 2010 et 371 entre janvier et juin 2011. Chaque remise peut contenir entre 1 et 50 chèques.’’
Ce sont donc des dizaines de milliers de chèques en provenance du Sénégal qui ont atterri dans des comptes de la filiale monégasque de la BNP Paribas.
Soupçons de blanchiment d’argent
Selon l’administrateur de Sherpa, ces opérations devraient correspondre à des milliards de francs Cfa. ‘’Si l'on procède par analogie avec Madagascar (où le compte d'un seul apporteur d'affaires a été crédité en un peu plus de 3 ans, en 284 remises de chèque, d'environ 10 millions d'euros), on peut estimer qu'il est vraisemblable de penser que près d'une centaine de millions d'euros (plus de 65 milliards de francs Cfa) ont également été sortis du Sénégal pendant cette période.’’
À en croire la même source et plusieurs autres contactées par SenePlus, ces transactions suspectes visent à ‘’sortir des capitaux à l'insu des contrôles des changes, échapper à l'impôt et éventuellement blanchir de l'argent du crime organisé’’.
Le mode opératoire est rodé. Des expatriés ou visiteurs français sont invités à régler leurs achats (nuit d'hôtel, supermarché...) par chèque en euros sans que l'ordre ne soit rempli. Les chèques sont ensuite vendus contre un intermédiaire qui remplit l'ordre et encaisse le chèque sur son compte monégasque.
Ignorance ou omerta ?
L’affaire a suscité un tollé en France, mais ne fait pas encore grand bruit au Sénégal. En effet, si elles disent avoir eu vent de l’information, la plupart des personnes contactées par SenePlus dans le cadre de cette enquête reconnaissent en ignorer les contours. C’est le cas d’un député de l’opposition qui a souhaité garder l’anonymat et ne pas se prononcer en attendant t’en savoir ‘’un peu plus’’. Itou pour Birahim Seck du Forum civil, qui a promis de revenir vers nous pour donner la réaction de l’organisation dont il est membre.
Contacté à son tour, le président de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), Waly Ndour, a rappelé que ‘’les informations traitées par la Centif sont confidentielles, la loi ayant expressément encadré l’utilisation des résultats des investigations de la Cellule’’. Nous lui préciserons, par le biais de son assistante, qu’on souhaiterait uniquement savoir si la Centif a eu vent de l’affaire et si elle allait s’autosaisir. Nous n’avons pas encore de réponse.
Parrains du système
Quels sont les Sénégalais impliqués dans ces opérations suspectées ? D'où tiennent-ils leurs avoirs ? Ces fonds sont-ils d'origine licite ? Du côté de Sherpa, on affirme ne pas détenir ‘’de renseignement précis’’ pour répondre à ces questions. Selon d’autres sources contactées par SenePlus, il faudra ‘’creuser du côté des opérateurs de change informels’’.
L’affaire a été révélée par Le Canard Enchaîné, en avril 2013. Dans la foulée, Sherpa avait demandé au parquet de Monaco d’ouvrir une information judiciaire. L’Ong anti-corruption portera plainte au mois de novembre dernier contre la filiale de Bnp pour ‘’escroquerie aggravée en bande organisée, recel d’escroquerie, recel de fraude fiscale et blanchiment aggravé’’. Ce n’est que trois mois plus tard qu’une information judiciaire est ouverte.
La procédure est enclenchée et le juge désigné à Monaco pour la conduire est appelé à reconstituer les pièces du puzzle, notamment en remontant jusqu’au Sénégal, un des points de départ africains du supposé trafic de chèques. Là où en ce moment la traque aux biens supposés mal acquis fait rage.
Seneplus.com
MADAGASCARLa BNP Paribas Wealth Management est installée avenue d’Ostende à Monaco, c’est par elle que transitaient les chèques émis par des clients français d’établissements malgaches. A leur insu… mais parce qu’ils ne remplissaient pas l’ordre
Une nouvelle étape a été franchie ma semaine dernière dans l’affaire de la Lessiveuse africaine avec l’ouverture d’une information judiciaire contre X de la part du parquet général de Monaco.
Fin 2013, l’ONG Sherpa qui lutte contre les biens mal acquis avait déposé une plainte contre la filière monégasque de BNP Paribas (BNP Paribas Wealth Management) auprès du procureur de Paris pour "escroquerie aggravée commise en bande organisée, recel d’escroquerie, recel de fraude fiscale et blanchiment aggravé commis en bande organisée du produit d’infractions pénales". C’est donc finalement contre X et à Monaco que se dérouleront les investigations.
Sherpa est allée crescendo dans ses actions. En avril 2013, c’est d’abord une lettre qu’elle adresse à la justice de la principauté après la découverte d’un rapport interne de la filiale monégasque daté du 25 octobre 2011.
Cette "lessiveuse africaine" concernerait plusieurs pays africains dont Madagascar. Entre 2008 et 2011, des ressortissants français de la Grande Ile ont émis des chèques en euros soit dans des hôtels soit auprès de bureaux de change. On leur demandait de ne pas mettre d’ordre. Les chèques étaient ensuite revendus par les hôteliers ou les agents de change et atterrissaient ainsi entre les mains d’un entrepreneur, identifié dans le rapport de la BNP, qui possède plusieurs boutiques de vente de souvenirs pour un chiffre d’affaires annuel de 150 000 euros.
L’entrepreneur ajoutait l’ordre des chèques et les envoyait sur son compte à la BNP Paribas Wealth Management installée à Monaco. C’est de cette manière qu’il a ainsi réussi à sortir de Madagascar 10 millions d’euros au nez et à la barbe des autorités malgaches. "Ce qui est interdit, c’est de sortir des devises à l’insu du contrôle des changes. Le but peut être de dissimuler des profits et de réaliser une fraude fiscale", note-t-on chez Sherpa. L’entrepreneur en question peut aussi jouer le rôle d’intermédiaire pour une autre personne. Les sommes versées par petits montants pour ne pas attirer l’attention ne dormaient pas à Monaco puisqu’elles étaient ensuite transférées vers différents paradis fiscaux. D’où la suspicion de blanchiment d’argent. "Ces opérations irrégulières portaient sur des petits montants unitaires. L’examen des flux effectués par la banque a permis d’identifier une augmentation du nombre de ces opérations et a attiré l’attention du management local de BNP Paribas ce qui a suscité une mission de l’inspection générale de la banque", avait déclaré une porte-parole de BNP dans un courrier électronique adressé à l’agence de presse Reuters en avril. Constatant ces flux, la BNP aurait théoriquement dû alerter Siccfin, l’équivalent monégasque de Tracfin qui surveille les mouvements financiers suspects. Mais rien n’a été fait et c’est bien ce que Sherpa reproche à la banque.
Dans un communiqué daté d’hier, l’ONG "se réjouit de l’ouverture d’une information judiciaire contre X par le Procureur Général de Monaco Jean-Pierre Dréno pour les chefs de blanchiment, complicité de blanchiment, recel de blanchiment et omissions de déclarations de soupçons."
Vingt et un pays africains sont concernés. "Ces chèques, émis par des ressortissants français, étaient détournés à leur insu vers des comptes à Monaco, le but de cette manœuvre étant d’échapper au contrôle des changes ainsi qu’au fisc, peut-être aussi de blanchir l’argent du crime organisé", précise Sherpa.
Nicolas Goinard