Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Ivoir-Opinion

CHEFS DE VILLAGE OU CHEFS COUTUMIERS ?

18 Août 2013 , Rédigé par ivoir-opinion Publié dans #côte d'ivoire

Les chefs coutumiers de la région du Gô, invitent le Président de l’Assemblée Nationale, Monsieur SORO Guillaume,  à l’inauguration de leur siège et à visiter certains de leurs villages tels que celui de Blé Goudé, de Laurent Gbagbo et de la mère de ce dernier.

Cette annonce est suivie par les déclarations de Joseph Gadji Dagbo, porte-parole des chefs de village de Gagnoa et  Dallys Moloko André, Chef de village de Gnaliépa, village natal de la mère de Laurent Gbagbo, précisant le caractère et le contenu de cette visite.

La juxtaposition des notions de chefs de village et de chefs coutumiers est à son comble lorsque dans Oeildafrique.com,  Roger Musandji parle, dans le même article, de l’invitation des Chefs de tribu de Gagnoa  faite à Guillaume Soro et relate la déclaration de Kouassi Ouraga Bertin, Chef de village de Mama, relatif aux « bons soins que le peuple « Bété », groupe ethnique de la région du Gôh, reconnu pour sa légendaire hospitalité, réserverait au Président Soro.

Finalement de qui parle-t-on ? Des Chefs de tribu ? Des Chefs de Village ? Des chefs coutumiers ? Les Chefs de village cumulent-ils toutes ces dénominations ?  On finit par se perdre en conjectures.

Suffit-il de porter un pagne kéta et une coiffe de circonstance pour être considéré comme un chef traditionnel, devenir garant des institutions et parler au nom des populations ?

En attendant que des sachants définissent une fois pour toute ces différentes notions,  la propension des chefs de villages, abusivement désignés comme des chefs coutumiers, à se substituer aux populations au point de vouloir s’en faire les porte parole crée de sérieux problèmes et mérite quelques éclairages.

Les chefs de village  sont-ils   les  porte parole  des populations ?

Le chef de village est un auxiliaire de l’Administration. Il est l’interface entre celle–ci et les populations. A ce titre, le chef de village, afin que les populations comprennent et s’imprègnent mieux des actions de l’Administration, véhicule les informations idoines. En retour, il se charge de transmettre à l’Administration  les doléances des populations sur un certain nombre de sujets relatifs essentiellement à la cohésion sociale.

Le chef de village est donc une courroie de transmission, un appendice de l’administration déconcentrée, un maillon essentiel dans la prise de décision et une autorité qu’il y a lieu de préserver notamment pour les localités non rattachées à une commune.

En effet, la présence d’élus locaux  réduit voire rend caduque l’existence des chefs de village dans la mesure où les premiers cités reçoivent, à travers l’élection, mandat de la délégation et de la représentation des populations. Ainsi les maires représentent les populations et sont investis pour mener à bien les intérêts de la communauté.

Dans les localités semi-rurales ou les communes ayant en leur sein des quartiers urbains et des villages, l’administration communale, bien que considérant les villages comme des quartiers de la commune, tient compte de leurs spécificités en utilisant les chefs de village, les présidents de mutuelle de développement  comme des interlocuteurs privilégiés.

En substance, toute administration recherche des interlocuteurs crédibles dans chaque communauté et s’adapte en conséquence. Indépendamment de leur dynamisme ou de leur influence dans la communauté, le président de la mutuelle, le chef de village, les représentants des femmes ou des jeunes ou même un cadre du village peuvent servir d’interface.

Ceci explique cette visite de Soro à Gagnoa qui, loin d’être improvisée, s’inscrit dans les relations qu’entretiennent les Chefs de village avec l’administration. Elle a donc été préparée par le gouvernement à travers  l’autorité préfectorale de laquelle découlent les chefs de village.

Parler aux parents de Gbagbo après avoir libéré les personnalités du FPI injustement arrêtées, c’est vouloir montrer à la communauté internationale que le pouvoir  s’investit dans la réconciliation nationale.

Habiller un tel projet politique de la volonté explicite des populations à recevoir Guillaume Soro est la gymnastique intellectuelle à laquelle se sont appliqués les chefs de village et le pouvoir actuel.

La magnanimité de Soro ne devrait-elle pas être saluée par les populations de Gagnoa. N’a-t-il pas sauvé Laurent GBAGBO ? Ne lui a-t-il pas cédé sa chambre, embastillé dans sa résidence à Korhogo durant des mois sans que ce dernier ne voit le soleil ? Pour toutes ces actions, les parents de GBAGBO  ne devraient-ils pas être reconnaissant envers SORO et passer sous silence les exactions et les tueries des rebelles, dozos et Frci ? Ne devraient-elles  pas  également encenser le pouvoir OUATTARA et arrêter de dénoncer la justice des vainqueurs ?

L’histoire retient que les Chefs de village ont offert une tribune à Soro Guillaume pour tenir  des propos scandaleux qui frisent l’insulte.

Les chefs de village ne sont pas des chefs traditionnels ?

Les royautés et chefferies traditionnelles, lorsqu’elles s’opposaient à la colonisation, ont été systématiquement écartées par le colonisateur français qui  a dû recourir à de nouvelles chefferies pour son administration par l’institution des chefs de cantons. Ceux-ci devinrent pendant toute la colonisation les instruments privilégiés de l’administration coloniale.

A l’indépendance, les gouvernants ont soit maintenu ces autorités, entre temps devenues traditionnelles, soit  désigné des chefs de village.

Cependant, le chef de village d’une communauté rurale est-il d’emblée un chef traditionnel ? Affirmer cela revient à dire que les présidents de mutuelles de développement de cette communauté sont  des présidents de développement coutumier, agissant selon les critères exigés par la tradition. Même si le terme de président ne rime pas forcément avec coutume.

Non  la  Chefferie Traditionnelle est établie selon  une tradition de faits historiques de pouvoir politique et juridique déterminée par un espace géographique donné et transmise de génération en génération.

Le chef traditionnel, le roi chez les Akans ou le chef de terre chez d’autres, est donc celui qui incarne l’authenticité  de la communauté en sa qualité de garant de la tradition, des valeurs ancestrales. Son processus de désignation est d’ailleurs à l’antipode de celui du Chef de village et celui-ci ne saurait s’en prévaloir.

La confusion vient de ce que l’on retrouve aussi bien des rois que des chefs de village dans des associations de chefferies traditionnelles. Cet amalgame est d’autant plus préjudiciable pour les rois ou chefs de terre, soumis au droit de réserve c'est-à-dire à la parole modeste, que leur autorité tend à être galvaudée.

Elle participe également à l’hyper-médiatisation des chefs de village qui se présentent à tort comme les porte parole des populations sur un ensemble de sujets relevant essentiellement de la chefferie traditionnelle. 

Cet état de fait entretenu par les autorités gouvernementales ou préfectorales répond à des objectifs politiques et sert parfois à « légitimer » des actions qui n’auraient jamais reçu l’approbation des autorités coutumières et des populations.

Pour conclure, la communalisation telle que proposée par le président Laurent GBAGBO aurait permis de recentrer le leadership territorial en redonnant à la chefferie traditionnelle et aux élus locaux leurs  vraies places.

Ainsi l’opportunité des visites telle que celle effectuée par SORO Guillaume à Gagnoa, reviendrait aux autorités réelles et aux élus issus d’élections véritablement démocratiques et non à un club de soutien composé de chefs de village abusivement auréolés du titre de porte parole des populations.

Conscientes de cette symphonie nauséabonde, les populations du Gôh ont boycotté cette visite. Elles prêtent plutôt attention aux personnes qu’elles oignent de leur confiance, celles qui sont dignes d’être leur représentant. 

Il importe comme dans certains pays tels le Ghana, le Togo et même le Bénin, de proposer un statut à la chefferie traditionnelle afin d’en définir une hiérarchisation catégorielle.

 Louis Sévérin Anouma

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article