Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Ivoir-Opinion

Dominique-François Ugeux/ "La Côte d’Ivoire est un paradis, je ne veux pas qu'on la métamorphose en enfer"

28 Février 2011 , Rédigé par ivoir-opinion Publié dans #côte d'ivoire

     Dominique François Ugeux, diplômé en sciences politiques et diplomatiques, président de l’association Royale de la presse Nord-Sud, ex député au parlement Belge, en visite de travail en Côte d’Ivoire, jette un regard critique sur la crise que traverse la Côte d’Ivoire depuis dix ans.


      On pourrait dire de vous que vous êtes pratiquement un Africain, pour avoir passé une grande partie de votre vie au Congo. En tant que tel, vous devez êtes certainement très préoccupé par la situation sociopolitique qui prévaut en ce moment en Côte d’Ivoire. Quel regard jetez-vous sur ce qui se passe dans ce pays ?


     J’ai vécu le coup d’Etat de 99, je l’ai très mal vécu. J’étais à l’hôtel du Golf et j’entendais les tirs comme si c’était dans ma chambre qu’on tirait. Fologo (Laurent Dona Fologo, actuel Président du Conseil Economique et Social) était juste au-dessus de la suite que je louais, et les militaires sont venus le chercher avec une brutalité incroyable pour le conduire au camp. J’ai appelé mon gouvernement et de négociation en négociation, il a été libéré 10 jours après. 


     N’est-ce pas la même crise qui fait encore parler d’elle aujourd’hui ?


      Oui c’est vrai, mais si on veut parler de l’origine de la crise, on passerait toute la nuit ici. Aujourd’hui ce qui est primordiale, c’est d’en sortir. Le hasard  veut que je sois là chaque fois que le pays souffre. Je suis là purement dans le cadre du travail, mais comme j’ai une âme de politique et de journaliste, j’ai décidé de rester pour voir un peu l’évolution des choses. J’ai vécu le premier et le deuxième tour de l’élection présidentielle. Le premier tour a été admirable, mais le second m’a véritablement interpelé.


     Qu’est ce qui selon vous, n’a pas marché pour qu’on en arrive à une telle crise après l’élection présidentielle ?  


      En tant que président de l’Association Royale de la Presse Nord-Sud, j’étais ici sur la Terrace de l’hôtel Pullman pendant la proclamation des résultats. Vous devez savoir qu’ici, il y avait des journalistes correspondants de chaines que je ne vais pas citer. Ils venaient s’assoir sur la Terrace pour discuter et surtout pour capter leur satellite pour le journal en duplexe.

 

 

      À cet endroit, j’ai assisté à une scène des plus révoltantes au monde. Ce que je vais vous dire, résume beaucoup de chose sur la crise en Côte d’Ivoire, et n’appellera pas d’autres commentaires.

      Il était 17 heures 15 mn, le lundi 6 Décembre 2010, ici à la Terrace de l’hôtel Pullman. J’échangeais avec un journaliste avec lequel je m’étais lié amitié au premier tour et qui était là pour le second tour de l’élection présidentielle. On discutait de la déontologie et de la liberté de la presse. À 18 heures ici et 19 heures pour Paris, avec son portable et l’amplificateur, il appelle Paris étant à un mètre de moi. Il a dit «  allo ! Paris, je fais la manchette sur Abidjan.

 

 

      «  Il y a des embouteillages, tout est normal, il fait calme, Abidjan bouge, le peuple est heureux, Laurent Gbagbo est élu ». Alors on entend Paris dire : « tu ne peux pas dire ça. Tu dois dire qu’il y a une tension vive à Abidjan que les ivoiriens ont peur, les rues sont désertes, les ivoiriens contextent la victoire de Gbagbo ».Voilà ce dont j’ai été témoin.

 

 

      En tant que Président de l’association royale de la presse nord sud, je dis que c’est indigne d’un pays comme la France. L’objectivité n’existe pas mais l’honnêteté intellectuelle existe.


     En d’autres termes, êtes-vous en train  d’affirmer que c’est la France qui fait la guerre à la Côte d’Ivoire pour installer le candidat de son choix et qu’à la réalité il n’existe pas de crise postélectorale ?


      Je suis en train de vous dire que j’ai été témoin d’une scène, je vous demande d’en déduire vous-même les conclusions, pour voir toutes les manipulations de la France dans la crise actuelle en Côte d’Ivoire.


     50 ans après, peut-on dire que l’Afrique est indépendante ?


      Je dis tout net que l’Afrique n’est pas indépendante du tout. En tant que politologue, je suis passionné des droits constitutionnels. Les crises que vivent les pays du Maghreb (Algérie, Tunisie, Egypte, Lybie) sont pareilles à la crise que vous avez vécu il y a 20 ans. C’est-à-dire que vous êtes partis d’un système dictatorial au multipartisme, tout le monde se félicite de cela.

      S’agissant des colonies françaises, 15 pays ex-colonies françaises d’Afrique noire ont hérité de la constitution de la 5ième république. On vous oblige à organiser des élections et on vous impose des Présidents. En côte d’ivoire on a poussé le Président Laurent Gbagbo à organiser l’élection présidentielle alors que l’ONU n’a pas pacifié le nord occupé par les rebelles.

      À partir du moment où on demande à des Etats souverains de se soumettre à la constitution et que la constitution est dotée d’un pouvoir exécutif, judiciaire, législatif et une liberté de presse, le 4ième pouvoir qui est total en Côte d’Ivoire, ce qui n’a jamais été vu dans le monde, je ne vois pas pourquoi on pourrait contester une élection présidentielle.

      À partir du moment où un Etat souverain via l’institution suprême de la République  proclame de façon officielle un résultat, on se doit de reconnaitre que c’est la République qui a parlé à travers cette institution. Alors, qu’on ne vienne surtout pas me dire que ce résultat serait nul parce que le Président du Conseil Constitutionnel est un ami à Gbagbo Laurent. Puis-je rappeler que Sarkozy, le donneur de leçon a comme président du Conseil Constitutionnel Jean Louis Debré, le fils du père ?  Alors pas de leçon à donner à l’Afrique s’il vous plait.


     Pourquoi selon vous, le Président du Conseil Constitutionnel français a une légitimité incontestée et qu’en Côte d’Ivoire on met en cause la légitimité du Président du Conseil Constitutionnel ?


      C’est tout simplement parce que le Président Laurent Gbagbo ne fait pas l’affaire de l’Elysée que la France refuse de lui reconnaitre sa victoire, accusant le Président du Conseil Constitutionnel d’être un proche de Gbagbo.

     Ni la France, ni les Etats-Unis n’ont de leçons à donner à la Côte d’Ivoire, quand on a vu le ridicule du recomptage des voix en Floride qui a donné Bush vainqueur, alors que tout le monde sait que c’est Albert Arnold Gore, dit Al gore qui a remporté l’élection présidentielle. C’est la Cour Suprême majoritairement pro Bush qui a donné le résultat final. Est-ce que l’ONU est allée mettre de l’ordre aux Etats-Unis ? A-t-on envoyé l’ECOMOG aux USA ? A-t-on fermé les banques aux USA ?


     Pensez-vous qu’il y a une perspective adéquate de sortie de crise sans que la Côte d’Ivoire ne s’embrase ?  


      Je vais vous le dire très sincèrement : je prie Dieu nuit et jour pour que l’on arrête l’effusion de sang en Côte d’Ivoire. La Côte d’Ivoire est un paradis et je ne veux pas qu’on la métamorphose en enfer.  Le peuple ivoirien a payé un lourd tribut depuis près de 10 ans, il a assez souffert, il a assez pleuré et cela doit s’arrêter. J’en appelle à la compréhension des deux hommes pour qu’ils se parlent. Il y a un qui est ouvert, l’autre est fermé.

     La seule solution de sortie de crise est un dialogue franc entre les deux protagonistes. Un qui fut premier ministre, brillant économiste, Alassane Ouattara et l’autre, grand politicien, profondément cultivé, miroir du peuple ivoirien et de l’Afrique. Même ses adversaires sont obligés de reconnaitre le  grand politicien qu’il est, un homme courageux et au grand cœur.

      Pendant 10 ans, il a composé avec d’autres parties pour la paix dans son pays. Laurent Gbagbo est grand dans l’âme et dans le cœur, il saura trouver une issue pacifique à la crise qui secoue son pays. Il faut à tout prix éviter une guerre civile. Ce sera la fin de l’Afrique de l’Ouest et de la CEDEAO.

     Je voudrais que M. Ouattara ait la connaissance intellectuelle de reconnaitre qu’il y a une constitution et des institutions qui régissent la Côte d’Ivoire. Un coup de force vers le golf est envisageable mais ne résoudra rien, le Nord étant occupé, il y aurait forcement des morts, si c’est dans l’autre sens, se sera à la limite du pire.

      Je recommande le dialogue et condamne l’attitude de Nicolas Sarkozy qui de façon scandaleuse a sonné le Président de la République de quitter le pouvoir, ce qui est une ingérence invraisemblable et c’est inacceptable. Quand bien même on ne soit pas avec le Président Laurent Gbagbo, il y a un minimum de respect qu’on lui doit en tant que chef d’Etat, légitimé ou pas par Paris, c’est le Président de la République de Côte d’Ivoire.


     Que pensez-vous du panel des Chefs d’Etats Africains ? Croyez-vous qu’ils auront assez de courage pour faire triompher la vérité et légitimer les institutions de la République de Côte d’Ivoire ? 


      Par rapport au tout début, il y a un gros effort qui a été consenti. Avant c’était l’Europe et les USA qui dictaient leurs lois. Le fait de remonter vers l’Afrique est un grand pas. Je préfère 30 à 40 allées et retours pour des négociations, à la recherche d’une vraie paix plutôt que d’utiliser des armes pour détruire ce beau pays, qui a tous les atouts. Ce beau pays qui est un don de Dieu, est le seul patrimoine que les ivoiriens ont en commun.

     Ne tombez pas dans le piège de vos ennemis qui ne désirent que voir le pays s’embraser, pour piller son sous-sol. Il faut que le panel tienne bien-sûre compte des lois du pays. Les Africains ayant la vertu de la bonne gestion des palabres et du dialogue, je sais et j’espère que le panel va apporter la paix tant attendue par les Ivoiriens.


     Le Congo est quasiment votre pays, puisque vous y avez passé pratiquement toute votre vie. Quel lien établissez-vous entre Patrice Lumumba et le Président Laurent Gbagbo ?


      J’ai eu la chance de vivre l’indépendance du Congo. Laurent Gbagbo présente les caractéristiques d’un homme qui pense d’abord à son peuple avant toute autre considération. Lumumba était ainsi, c’était un homme qui n’avait rien à foutre de l’argent, il était profondément nationaliste.

     Toutes ses revendications étaient sociales et propres aux besoins du peuple. On l’a taxé de communiste et à force de le taxer de communiste, il n’a pas eu d’autre choix que de se tourner vers Moscou. Si on avait compris que ce n’était pas un communiste mais plutôt, un homme avec lequel il fallait composer, on ne l’aurait pas assassiné. Gbagbo comme Lumumba  incarne le nationalisme au sens noble du thème.

     Je souhaite qu’on le laisse en paix et qu’il ait 5 ans pour mettre à exécution son programme de gouvernement, pour le bonheur de son peuple et après qu’on le vote plus si on veut, mais il faut le laisser travailler. À la limite il est frustré de ne pas pouvoir faire ce qu’il aime le plus au monde, se mettre au service de son peuple, travailler pour son peuple, rien que ça, Gbagbo ne demande rien que ça.


     Votre dernier mot


      Ce que je vais dire est banal mais ça vient du cœur. Je voudrais dire aux ivoiriens que je fréquente depuis longtemps, que quelle que soit leur tendance politique, ethnique et religieuse de se pardonner les uns les autres, de prier Dieu tous les jours pour que vienne la paix.


     Je porte un amour sincère et total, sans calcul au peuple ivoirien. Faites la part des choses, ne sombrez pas dans l’extrémisme et ne devenez pas les otages des manipulateurs. Je dis aux ivoiriens de se serrer les coudes, car le bout du tunnel n’est pas loin, il y a une lueur d’espoir qu’il faut savoir saisir.

     Je souhaite que le panel trouve une solution acceptable pour tous. Si les deux hommes ensemble acceptent de diriger la Côte d’Ivoire dans la sincérité, ils casseraient la baraque. L’n grand politicien et l’autre, économiste hors pair. S’ils arrivent à le faire, ils donneraient l’exemple et la preuve d’avoir une très grande maturité et ils donneraient une gifle à la France.

 

Propos recueillis par Fatime Souamée

 

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article